Le capitalisme doit-il être notre horizon indépassable ?
Article de Thibault Morizur et Laurianne Deniaud, paru dans le journal interne du MJS 44
Le capitalisme a
définitivement gagné, dit-on. Nous devons l’accepter, et renoncer à le
dépasser. Et si finalement le système capitaliste pouvait être acceptable, créer
de la justice sociale, réduire durablement les inégalités ? C’est ce que
l’on entend parfois dans la famille socialiste ; c’est cette vision
de la « fin de l’histoire » qu’il est nécessaire de remettre en
cause.
Certes, une certaine maîtrise du capitalisme a pu
être développée par les socialistes et les forces syndicales, des modes de
régulation et de redistributions des richesses mis en place, des combinaisons
positives ont pu naître entre croissance et réduction des inégalités. Dans le
cadre du capitalisme, des progrès sociaux importants ont tout de même pu être
réalisés. Cependant cette croissance ne s’est-elle pas faite au détriment des
pays du Sud ? Observe-t-on dans le monde une réduction des écarts de
niveau de vie ces dernières années ? Les taux de pauvreté ont-ils
globalement diminué, les désordres mondiaux se sont-ils estompés ? La
réponse est assurément non.
Le capitalisme repose
sur une logique d’accumulation qui ne se préoccupe aucunement de la recherche
d’un bien-être collectif, son seul objectif étant l’augmentation de la
plus-value ou profit, le travail étant considéré comme un coût. Sa capacité
phénoménale d’adaptation et de changement l’a conduit à évoluer ces dernières
années, il s’est mondialisé, s’est financiarisé, à tel point qu’il limite
considérablement notre capacité à agir sur le monde et à promouvoir notre
modèle de société. Parce que le capitalisme a changé, nos analyses et nos
propositions doivent changer ; face à un capitalisme sauvage qui met en
concurrence les Etats, les régions, les salariés, qui fait pression sur les
salaires et la fiscalité, qui considère les travailleurs comme de simples
variables d’ajustement, et les ressources humaines et environnementales comme
infinies, nous devons faire le choix de réintroduire l’homme au cœur du système
économique.
Si nous n’avons pas actuellement
d’alternative globale au modèle capitaliste, il existe cependant des moyens de
remettre en cause la logique même du système. Ces solutions se situent tant
dans le champ de l’économie sociale et solidaire, que dans celui de la présence
des salariés au sein des conseils d’administration des entreprises, ou de la
création d’un nouvel indicateur de richesse.
Repenser les modes de
production, c’est en effet repenser l’ensemble de notre rapport au capital, et
dénoncer son accumulation dans les mains de quelques uns au détriment du
bien-être collectif. C’est prendre en compte toute la dimension de l’économie
sociale et solidaire, centrée sur la
redistribution des richesses et son sur leur accumulation, et refusant que la
notion de profit au sens capitaliste du terme intervienne dans son champ
d’action. Au travers de ce mode de développement innovant, c’est une remise en
cause de la logique d’accumulation du capital qui s’opère, tout en ayant prouvé
son efficacité : l’économie sociale et solidaire emploie aujourd’hui plus
de 2 millions de personnes et représente 5% du PIB.
Réfléchir à un nouveau
modèle de développement, c’est aussi porter le combat de la démocratie sociale
au sein des entreprises, qui peut permettre de renverser la logique capitaliste
du propriétaire (l’actionnaire, de plus en plus) qui décide seul. Imposer au
sein des conseils d’administration 30% des droits de vote pour les salariés,
est à la fois une exigence sociale, démocratique et économique : parce
qu’ils participent à la création de richesses, les salariés doivent avoir la
possibilité de participer à la prise de décision et au partage des bénéfices.
De l’économie sociale à
la participation des salariés aux décisions prises en conseil d’administration,
c’est finalement rien moins que l’appropriation démocratique des moyens de
production qui se dessine. Au delà de ces remises en question de la logique
propre au capitalisme, c’est un nouvel indicateur de richesse qu’il faudra substituer
au PIB, dont la mesure est indifférente à la répartition des richesses, aux
inégalités, à la pauvreté. Des indicateurs
prenant en compte le niveau d’éducation, l’environnement, les inégalités, en
bref le bien-être individuel et collectif pourraient être mis en place, ce qui
remettrait en cause la logique même de la mesure de la croissance telle qu’elle
est effectuée aujourd’hui.
A la lumière de ces quelques
pistes proposées, qui, si elles ne révolutionnent pas les modes de production,
permettent de retrouver une certaine critique du système capitaliste de
production, on entrevoit mieux l’horizon qui doit être le nôtre, celui du
dépassement du capitalisme, au delà de sa simple régulation. C’est là toute la
différence avec la pensée sociale-démocrate. Quand la social-démocratie considère
que l’on doit se contenter du cadre capitaliste pour mener notre politique et
se limiter à le réguler, nous devons au contraire considérer cette
social-démocratie uniquement comme un moyen et non comme une fin. Nous sommes certes
conscients de la domination du capitalisme et de l’absence actuelle d’alternative
réelle à son mode de fonctionnement, car la fin du capitalisme ne se décrète
pas, de même qu’un système alternatif ne peut être construit de toute pièce, et
nous sommes tenus de prendre en compte cet état des choses. Pour autant le
capitalisme ne se choisit pas, il est une contrainte : nous ne pouvons
arrêter notre réflexion à sa simple régulation, et c’est bien à sa remise en question
incessante que nous devons oeuvrer, pas à pas, par un réformisme audacieux,
sans renoncement, pour faire en sorte, comme le disait Jaurès, que les salariés
cessent « d’être un mécanisme pour être une liberté ». Nous ne
pouvons nous satisfaire d’un mode de répartition dominant qui va à l’encontre
de nos valeurs d’égalité, de progrès et d’émancipation de l’individu. Nous ne
pouvons nous satisfaire des éternels discours sur le « réalisme »,
sur le « on ne peut aller au delà de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui
». Car être socialiste, c’est vouloir
transformer le réel et remettre en cause l’ordre établi. Etre socialiste, c’est
vouloir élargir le champ des possibles pour mettre en œuvre un réel projet de
transformation sociale.
Le philosophe et homme
politique italien Gramsci disait être « pessimiste par l’intelligence,
optimiste par la volonté ». Le constat de l’actuelle hégémonie sans
partage du capitalisme ne peut que nous rendre pessimiste à très court terme.
Mais parce que nous conservons la volonté de retrouver un volontarisme
politique, de retrouver des idées et des alternatives, de ne pas se contenter
des incantations sur la régulation, nous devons être optimistes quant à notre
capacité à porter de nouvelles espérances et de nouvelles réponses.
Parce que nous possédons
cette volonté, parce que nous faisons le choix d’engager un combat global pour
changer les esprits et faire comprendre que des alternatives peuvent exister, parce
que nous croyons au socialisme démocratique, le capitalisme ne peut avoir
définitivement gagné.