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Nouvelle Gauche 44
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25 mai 2006

Le capitalisme doit-il être notre horizon indépassable ?

Article de Thibault Morizur et Laurianne Deniaud, paru dans le journal interne du MJS 44


Le capitalisme a définitivement gagné, dit-on. Nous devons l’accepter, et renoncer à le dépasser. Et si finalement le système capitaliste pouvait être acceptable, créer de la justice sociale, réduire durablement les inégalités ? C’est ce que l’on entend parfois dans la famille socialiste ; c’est cette vision de la « fin de l’histoire » qu’il est nécessaire de remettre en cause.

Certes, une certaine maîtrise du capitalisme a pu être développée par les socialistes et les forces syndicales, des modes de régulation et de redistributions des richesses mis en place, des combinaisons positives ont pu naître entre croissance et réduction des inégalités. Dans le cadre du capitalisme, des progrès sociaux importants ont tout de même pu être réalisés. Cependant cette croissance ne s’est-elle pas faite au détriment des pays du Sud ? Observe-t-on dans le monde une réduction des écarts de niveau de vie ces dernières années ? Les taux de pauvreté ont-ils globalement diminué, les désordres mondiaux se sont-ils estompés ? La réponse est assurément non.

Le capitalisme repose sur une logique d’accumulation qui ne se préoccupe aucunement de la recherche d’un bien-être collectif, son seul objectif étant l’augmentation de la plus-value ou profit, le travail étant considéré comme un coût. Sa capacité phénoménale d’adaptation et de changement l’a conduit à évoluer ces dernières années, il s’est mondialisé, s’est financiarisé, à tel point qu’il limite considérablement notre capacité à agir sur le monde et à promouvoir notre modèle de société. Parce que le capitalisme a changé, nos analyses et nos propositions doivent changer ; face à un capitalisme sauvage qui met en concurrence les Etats, les régions, les salariés, qui fait pression sur les salaires et la fiscalité, qui considère les travailleurs comme de simples variables d’ajustement, et les ressources humaines et environnementales comme infinies, nous devons faire le choix de réintroduire l’homme au cœur du système économique.

 
Si nous n’avons pas actuellement d’alternative globale au modèle capitaliste, il existe cependant des moyens de remettre en cause la logique même du système. Ces solutions se situent tant dans le champ de l’économie sociale et solidaire, que dans celui de la présence des salariés au sein des conseils d’administration des entreprises, ou de la création d’un nouvel indicateur de richesse.

Repenser les modes de production, c’est en effet repenser l’ensemble de notre rapport au capital, et dénoncer son accumulation dans les mains de quelques uns au détriment du bien-être collectif. C’est prendre en compte toute la dimension de l’économie sociale et solidaire, centrée sur la redistribution des richesses et son sur leur accumulation, et refusant que la notion de profit au sens capitaliste du terme intervienne dans son champ d’action. Au travers de ce mode de développement innovant, c’est une remise en cause de la logique d’accumulation du capital qui s’opère, tout en ayant prouvé son efficacité : l’économie sociale et solidaire emploie aujourd’hui plus de 2 millions de personnes et représente 5% du PIB.

Réfléchir à un nouveau modèle de développement, c’est aussi porter le combat de la démocratie sociale au sein des entreprises, qui peut permettre de renverser la logique capitaliste du propriétaire (l’actionnaire, de plus en plus) qui décide seul. Imposer au sein des conseils d’administration 30% des droits de vote pour les salariés, est à la fois une exigence sociale, démocratique et économique : parce qu’ils participent à la création de richesses, les salariés doivent avoir la possibilité de participer à la prise de décision et au partage des bénéfices.

De l’économie sociale à la participation des salariés aux décisions prises en conseil d’administration, c’est finalement rien moins que l’appropriation démocratique des moyens de production qui se dessine. Au delà de ces remises en question de la logique propre au capitalisme, c’est un nouvel indicateur de richesse qu’il faudra substituer au PIB, dont la mesure est indifférente à la répartition des richesses, aux inégalités, à la pauvreté.  Des indicateurs prenant en compte le niveau d’éducation, l’environnement, les inégalités, en bref le bien-être individuel et collectif pourraient être mis en place, ce qui remettrait en cause la logique même de la mesure de la croissance telle qu’elle est effectuée aujourd’hui.

 
A la lumière de ces quelques pistes proposées, qui, si elles ne révolutionnent pas les modes de production, permettent de retrouver une certaine critique du système capitaliste de production, on entrevoit mieux l’horizon qui doit être le nôtre, celui du dépassement du capitalisme, au delà de sa simple régulation. C’est là toute la différence avec la pensée sociale-démocrate. Quand la social-démocratie considère que l’on doit se contenter du cadre capitaliste pour mener notre politique et se limiter à le réguler, nous devons au contraire considérer cette social-démocratie uniquement comme un moyen et non comme une fin. Nous sommes certes conscients de la domination du capitalisme et de l’absence actuelle d’alternative réelle à son mode de fonctionnement, car la fin du capitalisme ne se décrète pas, de même qu’un système alternatif ne peut être construit de toute pièce, et nous sommes tenus de prendre en compte cet état des choses. Pour autant le capitalisme ne se choisit pas, il est une contrainte : nous ne pouvons arrêter notre réflexion à sa simple régulation, et c’est bien à sa remise en question incessante que nous devons oeuvrer, pas à pas, par un réformisme audacieux, sans renoncement, pour faire en sorte, comme le disait Jaurès, que les salariés cessent « d’être un mécanisme pour être une liberté ». Nous ne pouvons nous satisfaire d’un mode de répartition dominant qui va à l’encontre de nos valeurs d’égalité, de progrès et d’émancipation de l’individu. Nous ne pouvons nous satisfaire des éternels discours sur le « réalisme », sur le « on ne peut aller au delà de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui ». Car être socialiste, c’est vouloir transformer le réel et remettre en cause l’ordre établi. Etre socialiste, c’est vouloir élargir le champ des possibles pour mettre en œuvre un réel projet de transformation sociale.

 
Le philosophe et homme politique italien Gramsci disait être « pessimiste par l’intelligence, optimiste par la volonté ». Le constat de l’actuelle hégémonie sans partage du capitalisme ne peut que nous rendre pessimiste à très court terme. Mais parce que nous conservons la volonté de retrouver un volontarisme politique, de retrouver des idées et des alternatives, de ne pas se contenter des incantations sur la régulation, nous devons être optimistes quant à notre capacité à porter de nouvelles espérances et de nouvelles réponses.

Parce que nous possédons cette volonté, parce que nous faisons le choix d’engager un combat global pour changer les esprits et faire comprendre que des alternatives peuvent exister, parce que nous croyons au socialisme démocratique, le capitalisme ne peut avoir définitivement gagné.

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